En 2010, Olivier et moi avions le bonheur de nous rendre en Colombie afin d'accueillir dans nos vies et nos coeurs, notre belle Zia Maria.
Trois ans plus tard, la vie nous réserve une incroyable surprise, le bonheur d'accueillir parmi nous, Léa Camila, la petite soeur biologique de Zia.
Ce blog a été créé pour vous permettre de nous suivre dans ce merveilleux voyage qui fera de nous une famille de 4 !

jeudi 20 mars 2014

Lettre aux proches d'un survivant

Cette semaine, je fouinais sur les blogs d'adoption et je suis tombée sur cette lettre écrite par une psychothérapeute, travailleuse sociale, auteure et maman de 3 enfants adoptés, bien connue dans le milieu de l'adoption internationale, Mme Johanne Lemieux. Dans cette lettre, elle parle au nom de son enfant adopté, comme si celui ci s'adressait à ses futurs proches.
J'ai trouvé que cette lettre expliquait très bien les défis de l'attachement que doivent relever les parents adoptants, mais surtout, tout le chemin que l'enfant adopté à a parcourir afin de s'enraciner dans sa nouvelle vie.
Il est dur parfois de faire comprendre à nos proches et notre entourage les besoins différents de nos enfants adoptés. J'ai pensé que la lecture de ce texte pourrait vous permettre de mieux comprendre la réalité de l'adoption d'un enfant et surtout d'accepter et de respecter ses besoins et notre désir qu'ils s'épanouissent parmi nous.

Bonne lecture

' Bonjour .....

(...)
Comme vous vous en doutez bien, j’ai déjà à mon jeune âge tout un destin ! Si ma 
vie avait été facile et normale, je n’aurais pas eu besoin qu’on me trouve une nouvelle 
famille à l’autre bout du monde. C’est justement parce que j’ai déjà vécu de nombreuses 
épreuves que je souhaite que tout se passe le mieux possible lorsque je vais arriver dans 
la vie de mes nouveaux parents et dans votre vie à vous aussi.

Une chose est certaine : mes nouveaux parents auront besoin de vous avant, pendant 
et après mon arrivée, car c’est un rôle nouveau et exigeant qu’ils auront à apprendre. 
Moi, je vais avoir besoin de vous pour le reste de ma vie, mais pas pendant les premiers 
mois… Je sais, c’est étrange. Ce n’est pas tout à fait comme une naissance, une adoption. 

Voici pourquoi :

Dans le contexte d’une naissance, le bébé n’a pas encore vécu de mauvaises expériences. 
Il connaît sensoriellement sa maman biologique, puis il va découvrir son papa, puis vous, 
doucement, tranquillement, par étapes. Il ne vous viendrait pas à l’idée de vous imposer 
pour empêcher la maman de donner le sein ou de remplacer le papa pour toujours 
donner le biberon. Vous savez que, pendant les premiers mois, le bébé a surtout besoin 
des soins de ses deux parents pour s’attacher solidement à eux (...)


Pour toutes sortes de raisons complexes et qui ne sont pas de ma faute à moi, je n’ai pas 

eu cette chance de rester physiquement, sensoriellement, émotivement proche de ma 

maman et de mon papa. Ils ont disparu dans l’univers en me laissant en grand danger à 
cause du choc physique et émotif de leur disparition. Oui, mon petit corps se souvient 
d’avoir eu peur, d’avoir été triste au point de ne plus vouloir vivre… au point de penser que 
je devais être un mauvais bébé, un bébé avec peu de valeur ou d’importance pour qu’on 
arrête de me protéger ainsi. J’étais bien trop petit pour comprendre que c’est toujours 
des problèmes d’adulte qui causent des abandons, pas l’enfant lui-même. Quand je serai 
plus grand je vais pouvoir comprendre que ce n’est jamais, jamais la faute des bébés. 
Ce fut une grande épreuve, mais j’y ai survécu. Car oui, je suis un survivant. Vous savez, 
beaucoup de bébés humains se laissent mourir quand ils sont séparés de leur première maman. 
Pas moi ! Mais je ne savais pas que ce n’était pas encore fini…

Ensuite, j’ai dû aussi survivre pendant des mois (ou des années) dans des conditions de 
vie difficiles. Les nounous dans un orphelinat (ou la famille d’accueil) n’ont jamais pu me 
donner tous les soins dont j’avais besoin :

1. Je n'ai pas mangé lorsque moi j'avais faim. J'ai dû attendre beaucoup et longtemps le ventre vide. La qualité de la nourriture n'était pas non plus toujours au rendez vous. Ma santé en est donc fragilisé.

2. Je n'ai pas été changé lorsque moi j'avais souillé ma couche. J'ai dû attendre avec des brûlures aux fesses et beaucoup d'inconfort. Cela a stressé mon corps inutilement.

3. Je n'ai pas été bercé pour m'endormir et personne ne m'a chanter des chansons. J'ai dû me bercer moi-même ou m'endormir d'épuisement plutôt que paisiblement.

4. Je n'ai pas été caressé, complimenté, chatouillé, encouragé à parler, à bouger, à marcher. Ce qui fait que je me suis beaucoup ennuyé. Je suis resté seul dans ma couchette presque toute la journée. Mon cerveau n'a pas eu la nourriture sensorielle, affective et cognitive nécessaire pour que mes neurones se connectent rapidement. Mon cerveau a prit du retard sur son développement.

5. Je n'ai pas été soigné immédiatement lorsque j'avais des coliques, des douleurs, des infections, des éruptions cutanées, comme tous les petits bébés. J'ai dû me débrouiller tout seul, endurer en silence ou en pleurant jusqu'à épuisement ou jusqu'à ce que le sommeil me libère temporairement.

6. Comme personne ne m'a suffisamment protégé, j'ai sur-utilisés mes émotions de survie ( colère, tristesse, peur ) ce qui a nui au développement des autres fonctions de mon cerveau, les parties du cerveau qui existent pour apprendre que la vie est belle ( joie, désir, plaisir ) !

7. Je ne me suis pas senti compétent car quand je pleurais personne ne répondait; quand je voulais avoir des interactions personne de s'occupait de moi. Je me sentais invisible. Mon estime de moi-même est donc fragile. Je ne suis pas certain d'avoir ma place dans l'univers.

8. Je n'ai pas développé mon langage car personne n'a prit le temps de me parler, de me montrer le nom des objets ou de refléter mes émotions en les nommant. 

9. Je n'ai pas été regardé dans les yeux avec amour, admiration, tendresse et fascination. Je n'ai donc pas appris à bien décoder les expressions des visages.

En écrivant tout cela, je ne veux absolument pas que vous ayez pitié de moi. Ce qui m’est 
arrivé est triste, injuste, mais je ne veux pas être vu comme une victime. Je veux être 
vu comme un survivant qui a plein de ressources. Je souhaite qu’on me regarde avec 
un regard de compassion pour tout le travail que j’aurai à faire pour reprendre mon 
développement et avoir enfin une vie heureuse. Je suis résilient, mais cela ne suffira pas. 
Je vais avoir besoin de mes parents et de vous. Je veux que vous deveniez mes tuteurs 
de résilience. Comme on met un tuteur à un tournesol pour qu’il pousse bien, vers le 
soleil. Pour que vous m’aidiez à pousser en beauté et en santé.

Votre compassion doit se porter surtout sur la réalité que je n’ai été précieux, important 
et unique pour personne jusqu’à maintenant… Ce sera la blessure la plus douloureuse 
dont j’aurai à guérir. Bien plus que la malnutrition, que la négligence. Je faisais partie d’un 
groupe d’enfant, je n’étais pas un individu unique. Il y avait trop de nounous différentes, 
trop de changements de personnes dans ma vie. Je ne me suis jamais senti spécial, 
beau, intéressant et aimable, puisque personne ne semblait aimer rester auprès de moi 
pour toujours. 

Plusieurs adultes ont pris soin de moi, mais sans qu’ils s’attachent à moi, et sans que 
je m’attache à eux. Vous devez savoir que l’attachement n’a rien à voir avec l’amour. 
L’attachement, c’est un lien fort, un lien permanent de sécurité, de confiance et de 
conviction, la conviction que je suis pour quelqu’un tellement spécial qu’il ne me quittera 
pas, et ce, pour toujours. Lorsqu’un enfant est en relation d’attachement sécurisé avec 
son parent, il sait, il sent que son parent ne l’abandonnera jamais, qu’il répondra toujours 
à ses besoins et qu’il le protégera toujours des dangers. Le sentiment d’amour, pour un 
enfant, arrive dans son cœur et dans son âme après l’attachement, comme on met une 
cerise sur un gâteau.

J’ai donc appris que j’étais petit, vulnérable, dépendant et que j’avais besoin d’un adulte 
pour survivre… de n’importe quel adulte. C’est pourquoi ce qui sera le plus difficile et le 
plus important pour tout mon avenir, c’est de réussir à faire confiance et à me sentir en 
sécurité avec mon nouveau papa et ma nouvelle maman. Le plus ardu sera de tisser un 
lien d’attachement solide, permanent, avec eux d’abord. Alors que tous les autres liens 

ont été faibles et/ou se sont coupés. Car tout mon être aura peur au début qu’eux aussi 
disparaissent ; qu’eux aussi ne décodent pas mes besoins et n’y répondent pas de façon 
rapide, chaleureuse, prévisible ; qu’eux aussi ne me voient pas comme spécial, unique, 
digne d’amour et d’investissement. Comment cela pourrait-il en être autrement ? Jusqu’à 
mon adoption, je n’aurai rien vécu d’autre ! J’ai appris avec courage à m’adapter, à 
m’ajuster, mais pas à m’attacher…

Cela prendra du temps pour que je puisse me rassurer, reprendre des forces, m’attacher, 
m’accrocher à eux. Il faudra que ce soit eux seuls qui répondent à tous mes besoins de 
survie, soit me faire manger et boire, me consoler et me soigner, pendant plusieurs 
mois avant que je comprenne que c’est vrai, possible, réel et merveilleux. Cette étape 
m’est nécessaire avant de comprendre que je peux vraiment compter sur eux et qu’ils 
semblent vraiment aimer s’occuper de moi. Car l’attachement se fait lorsqu’un enfant vit 
une détresse et que son parent apaise cette détresse. Cela doit se répéter des milliers 
de fois avant de s’imprimer dans notre cerveau pour toujours.

Une fois que je serai rassuré, une fois que j’aurai senti et vécu ces deux liens possibles, 
agréables, apaisants, je vais pouvoir confier ma vie, ma santé et ma sécurité à mes 
nouveaux parents. Je vais enfin être disponible pour créer d’autres liens avec vous...

Je vous assure que de respecter le cocon physique et affectif que papa et maman 
envelopperont autour de moi est la meilleure façon de m’accueillir et de commencer 
à m’aimer. Plus je vais être capable de fabriquer ce lien avec eux, plus je vais savoir 
comment le faire ensuite avec vous. Fabriquer 4, 5 ou 6 liens ensemble en même temps 
est au-dessus de mes forces. Cela me rendrait confus, car cela ressemblerait tellement à 
ce que j’ai vécu en pré-adoption, que je continuerais à avoir des relations superficielles, 
uniquement utilitaires pour le reste de ma vie.

Vous savez, pour grandir en beauté, en santé, pour apprendre à m’aimer moi-même, 
puis pour aimer la vie, je vais avoir besoin de vous et de toute la famille. Mais pas tout 
de suite, un peu plus tard, mais pour toujours.
Donnez-moi seulement le temps de réparer mes blessures d’attachement avec mes 
deux parents d’abord...

Je vous remercie déjà, car je sais que vous comprenez mieux maintenant....







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